Colloque sur la prise en charge des victimes de TEH à des fins d’exploitation sexuelle – état des lieux et perspectives
Le 21et 22 juin 2023 l’amicale du Nid et la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances ont organisé ce colloque et invité l’ADA à intervenir.
Selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux Droits de l’homme, la Traite des Êtres Humains (TEH) désigne le processus par lequel des personnes sont placées ou maintenues en situation d’exploitation à des fins économiques.
En droit français, la traite des êtres humains est définie comme le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir à des fins d’exploitation notamment prostitutionnelle par l’usage de la contrainte physique et/ou morale et/ou bien l’abus d’une situation de vulnérabilité (article 225-4-1 du Code pénal).
D’après les estimations mondiales de l’OIT en 2016, 25 millions de personnes étaient soumises au travail forcé et à l’exploitation sexuelle dans le monde. Le rapport mondial 2016 de l’ONUDC sur l’identification des victimes montre que 51 % des victimes sont des femmes, 21 % des hommes, 20 % des filles et 8 % des garçons. Parmi ces personnes, 45 % ont été victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle et 38 % de travail forcé. Cette traite vise donc particulièrement les femmes.
Journée du 21 juin consacrée à la prise en charge des victimes avec un focus sur l’état des lieux en Isère
L’ADA a été invité à intervenir à la première table ronde consacrée à l’identification des victimes de traite des êtres humains rendant compte de sa pratique de l’accompagnement des personnes en demande d’asile.
L’identification passe souvent par le travail autour du récit, notamment celui que doit faire la personne qui se dit victime de TEH pour son recours auprès de la CNDA, en cas de rejet de sa demande par l’OFPRA. L’entretien autour du récit révèle aussi bien les faits permettant de qualifier la personne accompagnée comme « victime de traite » que tout ce qui relève de « non-dits ».
La personne est souvent maintenue dans une situation d’isolement, dans une situation où elle ne peut que dépendre de compatriotes impliqués dans le réseau à des degrés divers. Elle est souvent désinformée par le réseau sur ses possibilités de droits, la maintenant dans une situation de dépendance, de soumission, d’emprise. Elle ne comprend pas ce que sont les différentes instances vers lesquelles elle peut être adressée, ni ce qu’impliquent précisément les démarches administratives engagées. Elle souffre, en outre, souvent de traumatismes liés à ses conditions d’exil. Ce travail sur le récit peut permettre à la personne de s’affranchir des contraintes de différentes natures qui l’empêchent de faire un récit circonstancié.
Le travail de l’ADA se fait généralement en lien avec les services spécialisés en Isère comme l’association Amicale du Nid ou le service l’Appart de l’association Althéa.
Les dimensions psychologiques et sociales sont des leviers importants. En tant qu’accompagnant, il faut éviter les deux écueils, celui de la toute-puissance (croire savoir ce qui est bon pour elle) et celui de l’impuissance (croire qu’on ne peut rien apporter). Il faut aussi se méfier de notre propre méfiance. Nous nous devons d’être attentifs au regard que l’on porte, à n’être ni dans le jugement, ni dans la condescendance. Ça ne veut pas dire être dupe, mais entendre au-delà de la première parole, observer ce qui se passe, l’observer elle et l’ensemble du système dans lequel elle s’inscrit, se mettre à sa place. Tout en se détachant des mots dits, en gardant le recul, en s’alimentant de lectures. À ce titre, la documentation des associations spécialisées telles que l’Amicale du Nid et le service l’Appart est essentielle.
Journée du 22 juin consacrée à un éclairage national et européen de la prise en charge des victimes
L’ADA a été invité à remplacer la personne chargée de mission Vulnérabilités et Qualité à l’Ofpra qui n’a pu être présente. Ainsi l’ADA a pu rendre compte des évolutions jurisprudentielles et de posture de l’Ofpra vis à vis des victimes de traite. L’évolution de la jurisprudence liée à la « distanciation effective » et la peur de l' »instrumentalisation » qui transparaît dans la présentation qu’avait préparée l’Ofpra, a amené des réflexions durant ce colloque sur l’évolution de la terminologie dans les décisions et la peur de l’instrumentalisation dans le recueil de la parole des victimes de traite dans ce que l’ADA peut constater dans ses accompagnements.
Les femmes nigérianes victimes de TEH et sous certaines conditions, sont reconnues comme constituant un « groupe social » ce qui les rend éligibles à une protection internationale (cf article du Dalloz du 18 février 2020). Aux vues des évolutions des jurisprudences de la CNDA accordant une protection à ces femmes, on constate que les conditions sont de plus en plus restrictives.
Evolution de la jurisprudence CNDA de personnes ayant obtenues une protection
- 2013 : « contraintes à la prostitution et désireuses de s’extraire, de manière active »
- 2014 : « ont tenté de s’extraire de leur condition »
- 2019 : « sont effectivement parvenues à s’extraire d’un tel réseau »
- 2021 : « fait état de façon personnalisée et circonstanciée des menaces graves portées à son encontre et subies par sa famille restée au pays de la part de membres du réseau lorsqu’elle a manifesté sa volonté de ne pas se prostituer. … indices sérieux que la requérante puisse être à nouveau victime de traite ou de mauvais traitements »