L’accompagnement psycho-thérapique des demandeurs d’asile
Notre intervention de psychologues au sein d’ADA auprès de personnes en situation d’exil, permet de leur offrir un espace d’échange et de favoriser une écoute humanisante. Elles ont été victimes de nombreux traumatismes physiques et psychiques, parfois très graves, qui ont rompu l’équilibre psycho-affectif par une surcharge de violence qu’elles n’ont pu supporter. Les traumatismes ont bloqué, entravé le fonctionnement psychique et entrainé des affects dévastateurs qui perdurent. Les personnes reçues en entretien présentent souvent une inhibition et des troubles de la mémoire qui les mettent en difficulté pour raconter leur histoire et faire valoir leur droit.
Pour accueillir ces personnes « au bout du rouleau », en risque d’exclusion, nous devons nous dégager de l’exercice classique des psychothérapies pour l’adapter à des personnes qui viennent d’autres univers culturels, tout en gardant le cadre de nos références conceptuelles pour rechercher une clinique de l’universel et de la réhumanisation.
Pourquoi ce travail d’accompagnement psychique ?
Les traumatismes subis par les demandeurs d’asile provoquent chez eux de nombreuses atteintes : angoisses, idées obsédantes, troubles cognitifs, dépressions, dépendances, idées suicidaires… voire troubles psychiatriques graves. Sans compter que l’absence ou les insuffisances de la prise en charge dans le pays d’accueil les amplifie. Si les personnes combatives résistent mieux, celles qui sont isolées, perdues dans leur histoire sont en plus grande difficulté. Comme les personnes qui ont eu des carences dans leur petite enfance (par exemple perte d’un parent, séparation) et sont ainsi plus vulnérables.
Confrontés à des situations de perte, de deuil, certains sujets se retrouvent en prise avec des perturbations psychiques désorganisatrices qui les conduisent à ne plus pouvoir suivre les rythmes essentiels de la vie (le jour, la nuit, les repas, les rendez-vous…). Les personnes présentent une confusion léthargique et sont parfois confrontées à l’errance et à des atteintes spatio-temporelles.
Certains sujets vont manifester des symptômes bruyants et extériorisés de détresse. Pour d’autres au contraire, aucun signe extérieur n’est manifeste, ils sont lisses et apparemment détendus. Pour ceux-là, des défenses puissantes masquent leur très grande détresse. Leurs problématiques risquent de refaire surface plus tard derrière des comorbidités.
L’exil, les séparations, les deuils, les violences subies, la peur de mourir constituent une plaie béante comme un arrachement qui laissera des traces. La détresse s’affiche dans un dépouillement libidinal, avec perte du désir. C’est en réhabilitant une continuité d’être qui a été rompue, en retrouvant les liens précoces de la première enfance que le sujet peut retisser le fil de son histoire et survivre aux impasses qu’il rencontre.
Comment aider la personne à retrouver une place de sujet ?
En situation d’exil, les personnes se retrouvent le plus souvent dans un isolement qui les prive d’échanges et de leur nécessité : si leur parole ne touche personne, la parole n’évoque plus rien pour eux-mêmes.
Le vécu traumatique est inassimilable. Le sujet manque de mots pour exprimer sa souffrance et raconter les évènements qu’il a vécus et cela crée à nouveau pour la personne une situation de violence. Comme s’il revivait les violences dans le réel, il faut donc du temps et s’adapter à chacun pour que les personnes puissent réélaborer les traumatismes et en parler pour construire un récit.
L’approche psychothérapique, en offrant des entretiens (jour, horaire, lieu fixes) constitue un cadre sécurisant et contenant. Elle permet d’écouter ce que le patient ne peut pas dire, et quand il ne s’exprime pas, percevoir ce qu’il ne peut ressentir. La sensibilité du thérapeute liée au non-verbal, aide alors le patient à retrouver un lien émotionnel jusque-là inaccessible.
C’est en assurant une fonction secourable que les mots reviennent pour partager les sensations, les émotions. De même, prêter son langage à la personne blessée l’aide à retrouver les mots dans sa langue. Les traducteurs tiennent ici un rôle important dans ce travail thérapeutique, ils passent d’une langue à l’autre et ont une place de tiers importante pour le travail psycho-thérapique. L’adaptation du cadre à chacun rend possible la mise en récit de l’expérience vécue. Les forces de vie peuvent alors émerger permettant aux personnes de s’ouvrir à de nouvelles perspectives malgré le vécu traumatique.
Anne-Marie Ballain
Psychologue-clinicienne