La position de l’ADA sur le projet de loi « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration »
L’examen de la réforme de DARMANIN « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » qui devait débuter initialement le 28 mars au Sénat est finalement reporté. Le texte serait découpé en trois textes : un texte consacré à la simplification des procédures, une proposition de loi sur l’intégration par le travail et une autre qui porterait plutôt sur des mesures coercitives. Nous nous interrogeons, tout d’abord, sur l’avenir des mesures liées au droit d’asile dans ce nouveau découpage. Ensuite, une autre proposition de loi à l’initiative des députés Les Républicains serait également en cours de préparation.
La position de l’ADA
En 1951, la France adoptait la Convention de Genève en réaction aux horreurs de la seconde guerre mondiale. Cette convention ne repose pas sur les conséquences d’une guerre mais sur un paradigme fondamental : la notion de crainte. La protection doit être reconnue aux personnes qui craignent des persécutions, et non pas seulement à celles qui les ont déjà endurées. On affirmait solennellement qu’il n’était pas nécessaire d’avoir été déporté dans un camp de concentration pour craindre de devoir y être déporté. L’idée était donc de protéger préventivement.
Puisque les enjeux des conditions dans lesquelles les demandes de protection sont déposées sont essentiels, la Convention de Genève avait déjà alors tout prévu : la mise en place d’un dispositif d’accueil, le principe de non-refoulement, l’immunité pénale en cas de franchissement irrégulier d’une frontière, les critères à appliquer… et le bénéfice du doute, qui doit profiter au réfugié.
Depuis quelques années, l’exécutif n’a cessé de chercher à revenir sur ces acquis proposant des lois restreignant toujours plus de droit d’asile.
L’une des mesures symboliques de ces dernières années est probablement l’adoption de la notion de « pays d’origine sûr », permettant à l’origine de contester le droit au séjour en France même en cas de recours devant la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA), et aujourd’hui de soumettre les demandeurs d’asile à la procédure accélérée, laquelle n’est pas, loin s’en faut, un traitement privilégié…
Aujourd’hui avec ce projet de loi l’idée que l’ouverture du marché du travail des demandeurs d’asile ne soit envisagée que pour certaines nationalités ayant un fort taux d’accord, en excluant les personnes faisant l’objet d’une procédure accélérée ou les personnes en procédure Dublin continue de laisser penser que l’examen des demandes d’asile pourrait se faire uniquement sur le seul critère de la nationalité. Il serait ainsi clairement affirmé que certains pays du monde ne seraient pas censés « produire » de réfugiés, suggérant par ailleurs l’idée fantasmée d’une fraude massive parmi les demandeurs d’asile…
Difficile de faire plus éloigné de l’esprit de la Convention de Genève : celle-ci ne vise pas à déterminer s’il y a de bons ou de mauvais Etats, mais s’attache à garantir les individus qui ont besoin d’une protection, indépendamment de leur provenance géographique.
Une victime de traite des êtres humains originaire du Kosovo, un homosexuel albanais ne peuvent en aucun cas être considérés comme n’ayant pas vocation à bénéficier d’une protection… Ils sont pourtant originaires de pays que le Conseil d’administration de OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) continue de considérer comme « sûrs » et ne pourront avoir accès au marché de l’emploi dès l’introduction de leur demande. Si l’on suit la logique du projet de loi un Afghan en procédure accélérée ne pourra pas accéder au marché du travail tandis qu’un Afghan en procédure normale le pourra.
Les motifs pour lesquels une personne peut être placée en procédure accélérée sont, rappelons-le, pourtant eux aussi bien loin des réalités du besoin de protection et ne sauraient permettre de déterminer qui a vocation à rester sur le territoire ou non. Prenons l’exemple des demandes dites « tardives » c’est-à-dire déposées plus de 90 jours après l’entrée sur le territoire. Le recours à la mise en procédure accélérée sur ce motif traduit plutôt dans les faits, une volonté de réguler les flux. Si le texte prévoit que la personne sera placée en procédure accélérée si elle a déposé sa demande plus de 90 jours après son arrivée en France « sans motif légitime », la pratique ne permet pas au demandeur d’expliquer devant l’agent préfectoral en quoi sa demande est légitime, confidentialité de la demande d’asile oblige. Dans la pratique ainsi, la légitimité du motif de demande d’asile n’est jamais étudiée en préfecture et l’OFPRA ne requalifie jamais la demande en procédure normale, jugeant qu’il est disposé à prendre plus de temps pour instruire la demande si le dossier le nécessite. Il n’y a pas de contrôle de légalité sur la décision préfectorale. Or, les conditions dans lesquelles certaines personnes ont dû quitter leur pays et la méconnaissance du dispositif peuvent amener certaines personnes à méconnaître la possibilité de déposer une demande d’asile. Cela n’enlève en rien le besoin éventuel de bénéficier d’une protection. En outre, les craintes de persécutions peuvent naître plusieurs mois ou années de séjour après (possibilité de s’extraire d’un réseau de traite, capacité de verbaliser son orientation sexuelle, risque d’excision d’une fillette etc…).
Depuis la réforme de 2015, la décision de la préfecture de traiter une demande en procédure « accélérée » ne peut pas faire l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif. Alors que le projet de loi maintient le rôle des préfectures pour la détermination de la procédure, il n’y a toujours aucun contrôle de la légalité de cette décision de l’autorité administrative avant le recours devant la CNDA, en dehors des délais légaux pour contester une décision administrative. En ne prévoyant un recours que devant la CNDA, la demande d’asile est alors traitée entièrement selon la procédure accélérée et contestable uniquement en toute fin de procédure, et ce devant un juge unique également chargé de juger de la validité de la décision de l’OFPRA sur le fondement de la demande d’asile.
Les derniers projets de loi ont ainsi ouvert une brèche qui légitime dès lors la logique de tri. Le message est ainsi clair : certains dossiers ne valent rien par hypothèse et ouvrent le droit de les considérer comme tels. Le principe de suspicion va en conséquence contaminer tous les dossiers.
La réduction des délais vient de nouveau justifier les mesures de ce projet de loi et notamment la création des espaces « France Asile ». Ainsi, sous prétexte de réduire de trois semaines le délai et de rapprocher l’OFPRA de la personne en demande d’asile, un officier de protection sera présent dans un lieu partagé avec la préfecture et l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) pour recueillir des éléments relatifs à la demande d’asile de la personne. Il n’y aura plus de formulaire de demande d’asile à remplir et les personnes devront expliciter oralement le motif de leur demande dès leur arrivée.
Les « France Asile », sous couvert de suppression d’un délai, généralisent à tous les dépôts de demande d’asile la notion de recevabilité telle qu’elle existe pour les demandes en rétention ou en ZAPI (Zone d’Attente pour Personne en Instance) – un pré-examen par un officier de protection qui vise à déterminer si la demande est recevable et digne d’un examen approfondi par l’OFPRA.
Si l’ADA ne voit pas d’objection à la suppression du récit de demande d’asile qui ne vise qu’à permettre à l’officier de protection de préparer la trame de l’entretien et conduit bien souvent à une demande d’asile standardisée sans laisser la place au dialogue, la réunion de l’officier de protection avec l’OFII et la préfecture n’est pas sans conséquence sur les pratiques qui pourront en découler. L’agent de l’OFPRA installé en préfecture s’assimilera rapidement aux autres agents préfectoraux par mimétisme et incompréhension des rôles — un intervenant de plus avec l’OFII et l’agent préfectoral.
L’expérience des missions foraines de l’OFPRA permet de nous éclairer sur les problèmes qui pourraient être rencontrés. Les demandeurs d’asile sont régulièrement reçus en Préfecture du Rhône pour être entendus par des officiers de protection sur des missions de quinze jours. L’ADA étant habilité à être présent en tant que tiers au cours des entretiens en demande d’asile, nous avons pu constater la différence de traitement entre un entretien ayant lieu à Fontenay-sous-bois au siège de l’OFPRA et un entretien ayant lieu à l’occasion d’une mission foraine : la qualité d’écoute n’est pas la même, les demandeurs se sentent relégués, ayant déjà eu parfois à côtoyer la préfecture du Rhône dans le cadre de procédure Dublin… Tout donne le sentiment d’un examen expéditif.
Suite à la réforme de 2015 visant à accélérer les procédures, l’OFPRA avait déjà mis en place un « traitement adapté permettant une instruction proportionnée au degré de complexité de la demande » selon le guide de procédures devant l’OFPRA. Des fiches de traitement adaptées à certaines nationalités ont ainsi été rédigées pour les officiers de protection. Cela contribue à une certaine standardisation des décisions et des grilles d’entretien. Il apparaît tout d’abord difficile de définir à priori un niveau de complexité de la demande. Cet objectif interroge également par son caractère systématique. Ce serait comme si, à un profil de demandeur d’asile, correspondait un type de décision au détriment d’un examen. Par ailleurs, nous notons que les officiers de protection posant irrémédiablement les mêmes questions, ne se satisfont plus de réponses qui se ressembleraient trop, ce qui conduit l’OFPRA dans ses décisions à estimer les réponses « convenues » ou « peu personnalisées ». Or, il n’y a parfois pas 36 000 façons différentes de répondre à la même question. Cette standardisation dans les grilles d’entretien appelle toujours plus de force de persuasion et de capacité d’argumentation de la part du demandeur dans un temps qui ne cesse de se réduire.
Cette réduction des délais de traitement déjà promue par les derniers projets de loi réduit d’autant les chances du demandeur d’asile d’avoir in fine accès au juge de l’asile et en particulier à une formation collégiale de jugement, avec la généralisation des juges uniques et l’usage exponentiel des ordonnances qui conduit à ce que le demandeur ne rencontre jamais son juge. Ne nous y trompons pas, la territorialisation de la CNDA si elle pourrait avoir l’effet bénéfique de rapprocher le justiciable de son juge, risque d’entrainer bien plus d’effets pervers. Sous couvert de rapprocher les demandeurs d’asile de la Cour, elle vise à faire éclater la CNDA de son statut de juridiction spécialisée à celui d’une simple juridiction administrative dont les missions sont rattachées aux CAA (Cour Administrative d’Appel). Et ça tombe bien, comme ce ne sera dans tous les cas qu’un juge unique, ce sera un président de la CAA en question.
Avec ce texte, le Gouvernement ne vise rien de moins qu’introduire un coin dans la porte d’une réforme très profonde de l’asile, une réforme qui vise à s’aligner par le bas sur les pratiques d’autres Etats européens, notamment l’Italie qui est vraiment un exemple à suivre en ce moment.
Cette réforme vise tout simplement à supprimer l’OFPRA, dont les agents seront des agents préfectoraux présents dans les préfectures, et qui conduiront des « pré-entretiens » de recevabilité.
Elle vise aussi à supprimer la CNDA, en déléguant sa mission de juger l’asile aux Cours Administratives d’Appel et à ses magistrats.
Avec la suppression des deux instances de détermination, imparfaites mais dont l’existence incorpore et symbolise l’autonomie du droit d’Asile et sa place dans la République, le projet de loi Darmanin ne vise rien de moins qu’à vider le droit d’Asile de son sens, et de le diluer dans la politique de traitement de l’immigration et de gestion administrative des flux.
L’exposé des motifs et l’étude d’impact reposent sur les mêmes postulats que les précédents projets de loi qui étaient supposés y répondre sans jamais en dresser le bilan. Le Conseil d’Etat dans son avis « rappelle à cet égard la nécessité de disposer d’un appareil statistique complet pour éclairer tant le débat démocratique que la définition des choix structurants de la politique publique en matière d’immigration et d’asile« . Comme le déplore le Conseil d’Etat, aucun diagnostic n’est réellement posé sur la nécessité de réduction des délais quand pourtant, aujourd’hui le stock des dossiers en attente d’enrôlement à la CNDA est nul.
Le diagnostic de départ, « nos délais d’examen des demandes d’asile demeurent trop longs » étant erroné, par conséquent les propositions faîtes le sont aussi.
De même la potentielle dangerosité du demandeur n’est qu’un leurre.
A ce jour, aucune évaluation des législations précédentes n’a été opérée, mais l’exécutif actuel entend à nouveau modifier la loi, mélangeant de nouveau dans un même texte les questions d’asile et les questions d’immigration. Pourquoi donc vouloir à nouveau légiférer ?
C’est bien là que les choses deviennent inquiétantes.
L’introduction de changements structurels dans l’organisation de la Cour Nationale du Droit d’Asile mais aussi avec la création des espaces « France Asile » sont des changements qui influeront sur les pratiques des agents mettant en œuvre la réforme de façon durable. Les précédentes réformes ont déjà écorné le Droit d’asile.
Le demandeur d’asile n’attend pas en premier lieu une réponse rapide, mais une réponse juste et adaptée à sa demande. Compte tenu des enjeux d’une demande d’asile, alors que la vie ou la liberté des personnes sont en jeu, on n’a tout simplement pas le droit d’apporter une réponse erronée. Un demandeur doit bénéficier de sécurité juridique.
Ensuite, un grand oublié de la réforme reste l’Accueil. La législation sur les conditions matérielles d’accueil qui gagnerait à être simplifiée ne l’est pas. Or, il n’a jamais été aussi difficile d’accompagner les personnes en demande d’asile dans l’accès à leurs droits. Tout dans le système est fait de sorte que les personnes ne puissent pas faire de recours effectif contre les refus, cessations, suspension des conditions matérielles d’accueil. La complexité des procédures, les délais contraints uniquement pour les demandeurs, le double niveau de décision entre les directions territoriales et les juristes de la direction asile de l’OFII au siège n’est pas près de disparaître. Permettre aux demandeurs de déposer leur demande d’asile dans de bonnes conditions est pourtant essentiel afin de s’assurer de répondre aux besoins de protection sans risquer de passer à côté.
Nous devons en revenir à l’esprit de la Convention de Genève, l’idée du « plus jamais ça ». L’objectif de la convention en mettant en application un mécanisme de protection individuel, vise à ce que les horreurs du passé ne se répètent pas. En cela, en protégeant les réfugiés, nous nous protégeons nous-mêmes. Et nous protégeons la qualité de notre démocratie.