Murs et Frontières
Le mur de Berlin érigé le 12 août 1961 entre l’Europe de l’est et le monde occidental a symbolisé, jusqu’à sa chute le 9 novembre 1989, le repli sur soi de l’Allemagne de l’Est et le refus de voir les populations de celle-ci s’enfuir pour gagner « l’Eldorado » de l’Ouest. Il s’agissait alors d’un mur destiné à protéger un pays ou un ensemble de pays, de la tentation de ses habitants de sortir de chez eux.
La chute du mur de Berlin a suscité l’espoir d’un monde apaisé et dans lequel la libre circulation des hommes et des idées serait la règle. Il n’en a rien été bien entendu et la domination du libéralisme à tout crin mis en place aux USA sous la Présidence Reagan a entraîné une explosion des inégalités et de la pauvreté des pays les moins développés, à l’origine de conflits meurtriers et d’un exode massif des habitants de ces pays vers les pays riches de l’Europe et de l’Amérique du Nord.
Cet accroissement massif des inégalités ainsi que la corruption économique et politique qui en résulte et maintient les populations dans des situations d’oppression et de misère est à l’origine de cet exode dont les pays occidentaux n’ont eu de cesse de se protéger et pour cela de prendre des mesures de plus en plus répressives.
Les pays occidentaux ont alors mis en place des politiques extrêmement restrictives pour l’accueil des migrants avec la mise en place de quota, la mise en œuvre de mesures d’éloignement et la fermeture des frontières.
La transformation des « frontières » en « murs matérialisés » a pour première conséquence de changer la nature des relations entre un pays et ses voisins.
L’établissement de la frontière entre deux Etats est le résultat d’une négociation entre les pays concernés, quel que soit le mobile à l’origine de cette négociation, qui fixe les modalités de passage d’un territoire à l’autre, pour les hommes ou pour les marchandises et dont l’effectivité est contrôlée par un certain nombre de postes frontières. Il existe des règles bien établies pour le franchissement de ces frontières.
Les murs construits pour matérialiser et renforcer les frontières ont un but strictement répressifs et dissuasifs: Ils visent à empêcher des populations clairement définies à entrer sur un territoire. Ils sont aujourd’hui majoritairement destinés à lutter contre l’immigration illégale, c’est du moins leur objectif affiché.
Alors qu’en 1989 on comptait 6 murs frontaliers dans le monde, dont le plus représentatif était le mur séparant les deux Corées, destiné à figer une situation issue d’un conflit armé, on en compte une soixantaine aujourd’hui.
A contrario de l’image d’ouverture véhiculée par la libre circulation permise par les accords de Schengen, 1 000 kilomètres de murs ont été construits le long des frontières de l’Europe durant ces vingt dernières années, principalement pour lutter contre l’immigration non autorisée et contre le terrorisme alors que celui ci est bien souvent le fait de nationaux.
Info Migrants fait état de la croissance importante du nombre de murs érigés dans le monde depuis le début des années 2000:
- « L’érection de murs met en scène un État fort qui contrôle ses frontières et son territoire, estime Damien Simonneau, chercheur au Collège de France. Cela vise avant tout à répondre aux angoisses des citoyens et à faire fructifier certains acteurs politiques. »
- Le mur construit par Israël dès le début des années 2000 et destiné à le protéger contre le « terrorisme palestinien » a servi d’exemple.
- Le mur construit en 2015 par Viktor Orbàn sur la frontière entre la Hongrie et la Serbie étend sur 175 kilomètres ses barbelés de quatre mètres de haut. Conçu pour « préserver les racines chrétiennes » de la Hongrie contre un péril migratoire réel ou supposé, il a inspiré l’Autriche, la Slovénie et la Macédoine, qui ont fait de même à leurs frontières. La Bulgarie a, elle aussi, dressé près de 176 kilomètres de clôture barbelée le long de sa frontière avec la Turquie, principal point d’entrée terrestre des migrants en Europe. »
Cette prolifération de murs, est encore renforcée par les prises de position de nombreux pays de l’UE, notamment, mais pas seulement, les pays de l’Est ont accepté de financer la construction d’un mur entre la Pologne et l’Ukraine.
Ces décisions sont très clairement destinées à lutter contre l’immigration dite « irrégulière » en barrant les routes de passage empruntées par les migrants.
Quelle est l’efficacité de ces politiques?
Pour Damien Simonneau, « l’érection de murs contre l’immigration s’inscrit davantage dans des spectacles politiques que dans l’enjeu de contrôler les mobilités. Plutôt que de réduire les migrations, la construction d’un mur amène surtout à les déplacer. »
C’est ainsi que le nombre de migrants, en raison de l’existence de ces murs matériels ou non, n’évolue pas. On observe seulement que les migrants, poussés à cela par des passeurs aux pratiques mafieuses, se sont détournés des routes connues pour ouvrir d’autres voies plus dangereuses et plus meurtrières. Les migrants transitant par l’Italie et souhaitant entrer en France sont repoussés à la frontière de Vintimille et se détournent vers des voies extrêmement dangereuses à travers les Alpes. Seul le soutien de bénévoles leur permet d’échapper aux dangers courus.
De même que l’Association Utopia 56 intente un procès pour non assistance à personnes en danger, après le naufrage dans la Manche d’une embarcation faisant 27 morts le 24 novembre 2021, les ONG et associations seront elles amenées à intenter des procès pour « mise en danger de la vie d’autrui » contre les pays qui érigent ces barrières ?