La CNDA dans la tourmente ?
Depuis 2018 la CNDA vit une période particulièrement troublée, avec bien entendu des conséquences extrêmement dommageables pour les demandeurs d’asile.
- 2018 : Grève des agents de la CNDA et des avocats contre l’application de la loi « Asile et Immigration »
- 2020 : Confinement et sortie du confinement avec des mesures restrictives sur le « format » des audiences
- 2021 : Préavis de grève contre la « politique du chiffre » et des restrictions au droit.
Avant d’entrer dans le détail de ces différents évènements il est utile de rappeler ce qu’est la CNDA, maillon essentiel dans la mise en œuvre du Droit d’Asile.
Qu’est-ce que la CNDA ?
La CNDA est une juridiction administrative spécialisée qui est l’instance de recours des demandeurs d’asile déboutés en première instance par l’OFPRA. Il s’agit donc d’une instance cruciale devant laquelle les demandeurs d’asile avec le soutien d’un avocat peuvent plaider leur dossier avec souvent plus de recul que devant l’OFPRA.
Paramètre important, la CNDA en tant que juridiction où siègent des formations de jugements est soumise aux principes d’indépendance et impartialité vis à vis de toutes pressions externes autant du pouvoir exécutif que tous autres acteurs extérieurs à la formation de jugement souveraine.
Par ailleurs, la CNDA est la juridiction qui traite le plus grand nombre de dossiers avec 66 464 décisions rendues en 2019.
Quelle est l’origine des problèmes rencontrés ?
La durée totale d’instruction des dossiers de demande d’asile est jugée trop longue par les gouvernements successifs et l’objectif affiché dès 2017 par Emmanuel MACRON était une durée totale d’instruction, incluant l’examen par l’OFPRA et la CNDA, de six mois, alors que la durée moyenne était plutôt de dix-huit mois.
Loin de viser l’amélioration, pour les requérants, des conditions de vie en France et la diminution de leur période d’incertitude, cette volonté est sous-tendue par celle de pouvoir expulser plus rapidement les déboutés du droit d’asile, volonté qui est le dénominateur commun des réformes proposées et des pressions exercées sur les salariés et les juges de la CNDA.
La grève de 2018
Le projet de loi Asile et Immigration, présenté par Gérard COLLOMB en février 2018, comporte de nombreuses mises en cause du droit des demandeurs d’asile :
- Raccourcissement du délai de recours entre la décision de l’OFPRA et la saisine de la CNDA à 15 jours au lieu d’un mois.
- Mise en place d’un « recours non suspensif » pour les demandeurs originaires d’un pays « dit » sûr et pour tous les demandeurs en procédure accélérée.
- Augmentation de l’utilisation de la vidéoconférence en lieu et place des audiences en présentiel et publiques, ainsi que des décisions par ordonnance sans comparution du demandeur.
- Accélération générale des procédures.
Les salariés, et notamment les rapporteurs, dénoncent également des conditions de travail dégradées. Ils sont rejoints dans leur mouvement par les avocats qui plaident devant la CNDA, regroupés dans l’Association ELENA pour la défense du droit d’Asile, droit qu’ils estiment à juste titre gravement menacé.
Les rapporteurs feront une grève de quatre semaines et les avocats de sept semaines.
Les suites du confinement
Après deux mois de fermeture totale pendant la période de confinement de mars à mai 2020 la CNDA reprend ses audiences le 27 mai 2020 dans des conditions fortement dégradées pour lesquelles l’Ordonnance du 13 mai prévoit la généralisation de la procédure à juge unique (jusque-là réservée aux demandeurs en procédure accélérée), l’augmentation du recours à la visioconférence et l’augmentation du nombre de décisions par ordonnance. On voit là revenir les mesures fortement contestées en 2018 du projet de loi Asile et Immigration.
Comme en 2018 cette ordonnance voit une puissante contestation des salariés de la CNDA, notamment des rapporteurs, des avocats et des organisations de soutien aux demandeurs d’asile.
Il faut noter également que la mise en place en 2019 des audiences en vidéoconférence a fait l’objet d’une puissante contestation des avocats siégeant à la CNDA
Octobre 2021 : Appel à la grève des rapporteurs contre la « politique du chiffre » et la remise en cause possible de l’indépendance des juges
Les agents de la CNDA et les avocats du droit d’asile dénoncent une « politique du chiffre » menée par la présidente de cette haute juridiction administrative et les mesures qu’elle veut prendre pour réduire les délais d’examen.
Or ces tentatives de réduction de délais se traduisent à nouveau par une remise en cause insidieuse du droit d’asile et par une nouvelle dégradation des conditions de travail.
Quelles mesures sont mises en avant ?
Il s’agit tout d’abord de la recrudescence des dossiers rejetés par ordonnance, c’est à dire de dossiers rejetés sans audition de l’intéressé.
« Avant, les ordonnances concernaient des troisième ou quatrième demandes de réexamen, des dossiers sans motif sérieux de crainte ou des demandes de ressortissants de pays d’origine sûrs,» rapporte l’avocate Oumayma Selmi, présidente d’Elena.
Aujourd’hui cette méthode représente environ un tiers des dossiers et concerne de plus en plus de dossiers qui mériteraient un examen approfondi. C’est ce que nous constatons à l’ADA où nous voyons, ce qui est nouveau, des dossiers de demandeurs de pays ne figurant pas sur la liste des pays sûrs rejetés par ordonnance, sans préavis. Ceci va bien sûr à l’encontre des demandeurs qui se voient privés du droit de défendre leur cause.
Cette méthode est devenue une véritable politique de « gestion des stocks », voulue et mise en place par la Présidente.
Il s’agit ensuite de surveiller, pour en réduire le nombre, les reports d’audience décidés par les présidents des formations de jugement.
Un troisième point de crispation concerne le rôle croissant du CEREDOC, Centre de Documentation de la CNDA, qui cherche à rendre plus difficile les conditions de protection des Afghans et par suite des ressortissants d’autres pays à l’instabilité reconnue comme la Syrie, le Mali ou autres pays.
L’ADA a, à son échelle, constaté l’augmentation des rejets par ordonnance pour les demandeurs d’asile accompagnés par l’ADA et s’inquiète également de la tendance