Aux souffrances psychiques des demandeurs d’asile, l’ADA propose un appui psychologique
Besoins et Genèse
L’accueil de Demandeurs d’Asile pose la problématique de la prise en charge des souffrances psychiques liées aux violences ou persécutions subies, aux effets de la précarité matérielle et des incertitudes résultant des procédures administratives.
Les demandeurs d’asile ont fui des agressions, des violences, des persécutions, des emprisonnements, des tortures, des viols, des atteintes contre leurs proches, des menaces et des peurs qui les ont contraints à abandonner leur pays, leur métier, leur culture et leur environnement d’origine, leurs familles et leurs amis, et à entreprendre des périples qui les ont souvent mis en danger, pour aboutir en France, un pays inconnu, où ils sont contraints de séjourner durablement dans la rue et sans ressource.
La procédure de demande d’asile est aussi en soi un processus douloureux, puisqu’elle conduit le demandeur d’asile à devoir exposer son histoire, plusieurs fois, à faire face au doute ou à la suspicion, souvent au déni de sa parole et au rejet de ses explications. Dans le cas d’une reconnaissance de la demande et de l’obtention d’un statut en France, les réfugiés doivent alors faire face à toutes les difficultés d’une intégration dans laquelle ils recevront très peu de soutien pour reconstruire une vie à partir de zéro. Ceux qui n’obtiennent pas de statut sont soumis alors à l’angoisse d’une situation de clandestins, potentiellement poursuivis par les autorités.
Dans les cas où la personne est déboutée, il y a souvent un effondrement, le sentiment de n’avoir pas été crue et celui d’une illégitimité à vivre ou bien un sentiment de colère et de persécution.
Lorsque la personne reçoit une réponse positive, au premier sentiment d’euphorie succède parfois la désillusion. Les papiers ne transforment pas toute sa vie et les symptômes, non seulement liés aux traumatismes de l’exil, mais à ceux bien antérieurs ressurgissent avec force car l’angoisse n’est plus jugulée par le fait de se battre « au jour le jour ».
La volonté de prendre en compte ces besoins, a amené l’ADA à proposer un appui psychologique intégré à l’accompagnement des demandeurs d’asile.
Cet accompagnement a été initié en 2016, avec deux psychologues cliniciennes bénévoles au sein de l’ADA. Le soutien à la parentalité constitue un axe fort de l’action menée par l’ADA, une pédopsychiatre a ainsi rejoint l’équipe en 2017 pour un travail de groupe pédiatre-psychologue avec ces familles. Depuis mars 2021, un psychiatre a rejoint l’équipe.
Comment repérer les personnes susceptibles de bénéficier d’un appui psychologique ?
L’orientation vers ce suivi résulte de l’initiative du salarié ou du bénévole ayant entendu une demande ou perçu une souffrance psychique dans le cadre d’une rencontre avec le DA. Le lien entre travail psychologique et suivi de la procédure se révèle structurant pour le demandeur d’asile. La situation post-traumatique liée à l’exil, les deuils, les séparations, constituent un ébranlement de la personnalité et entraînent une dispersion, voire une perte des repères et une confusion. La collaboration entre les différents accompagnateurs de la procédure et les psychologues constituent un cadre plus structurant pour les personnes.
S’il existe une possibilité d’appui psychologique pour les demandeurs d’asile, c’est parce que les salariés et les bénévoles, par ailleurs formés aux démarches administratives complexes de la demande d’asile, sont également sensibilisés aux problématiques psychiques éventuellement rencontrées par leurs interlocuteurs. Le moins que l’on puisse dire c’est que ce n’est pas le cas dans les relations entre les demandeurs d’asile et l’administration.
S’adapter à chaque demandeur d’asile
Les populations de demandeurs d’asile reçues à l’ADA ne sont pas uniformes. Par exemple, chez les Africains, on rencontre deux types de demandeurs d’asile : ceux qui viennent de la campagne, avec une culture africaine qui perdure, ils sont parfois analphabètes ; d’autres sont urbains, avec des repères souvent complexes. Ils sont fréquemment pris entre deux cultures : leur culture d’origine et une orientation vers l’Europe, qui représente pour eux une forme de modernité. Pour qu’un travail psychologique fonctionne avec ce type de patients, il faut que les séances soient aménagées en fonction des personnalités et ne reproduisent pas nécessairement des séances analytiques type. Les psychologues doivent alors s’adapter. On remarque que les personnes ont le désir de rencontrer des soignants avec une compétence de type européen, ne souhaitant pas ici reproduire des expériences avec des intervenants de leurs cultures (chamane, etc…).
Les demandeurs d’asile isolés présentent aussi des problématiques liées à l’inactivité et aux difficultés d’hébergement. Ceux-ci n’ont en effet pas le droit d’effectuer un travail rémunéré et les possibilités de bénévolat sont limitées. De ce fait, ils sont le plus souvent inactifs, dans l’errance et leur santé, physique et mentale, se détériore beaucoup. Nombre d’entre eux n’ont pas d’hébergement, ou sont contraints à des changements de lieux fréquents. Cette situation induit de l’insécurité et il est difficile de soigner psychiquement des personnes à la rue. En revanche, on observe que lorsque les personnes ont un hébergement stable, le travail thérapeutique s’en trouve facilité.
Ces années d’expérience et d’observation montrent que la clinique du traumatisme chez les demandeurs d’asile se manifeste par des symptômes récurrents et importants : troubles psychosomatiques (céphalées, troubles digestifs, problèmes dermatologiques, douleurs corporelles…), insomnies, anxiété, angoisse, phobies, perte de la mémoire et troubles de l’attention. Pour certains, le suivi en fonction de leur problématique personnelle a notamment permis d’atténuer des symptômes comme la perte de mémoire et les troubles de l’attention.
Les entretiens psychothérapiques, en permettant d’offrir un lieu où la problématique du vrai et du faux qui est à la base du témoignage pour obtenir les papiers ne se pose en principe pas, induisent une diminution des symptômes et, souvent, la reprise d’une capacité narrative contribuant à combler les lacunes d’une mémoire en souffrance, permettant aux personnes, ultérieurement, de réorganiser et se réapproprier leur histoire et leur récit.
Si certaines personnes manifestent des symptômes évoqués ci-dessus, pour d’autres la gravité du traumatisme est telle qu’elle ne s’exprime pas et peut passer inaperçue. La personne est alors souvent inhibée et mutique. En effet, après avoir subi un traumatisme grave, les personnes atteintes ne présentent pas toujours des symptômes visibles. En cachant leur frayeur et leurs difficultés, en paraissant détendues voire souriantes, elles ne permettent pas à ceux qui les accompagnent, salariés ou bénévoles, de prendre la mesure de leurs problématiques. Ce fonctionnement lié au gel des affects cache un grand désarroi et des troubles qui peuvent être graves.
L’acceptation de la proposition de rencontrer un psychologue est, même si la personne n’a pas souvent une idée précise du type de travail qui va lui être proposé, déjà implicitement une reconnaissance des symptômes qui l’empêchent de vivre et on observe qu’un vrai travail peut alors se mettre en place.
Les psychologues reçoivent des familles, avec un intérêt particulier pour la relation mère-enfant. Elles reçoivent également des femmes pendant leur grossesse. L’exil avec l’éloignement de la famille, rend les mères particulièrement vulnérables et sensibles à la dépression. Les premières interrelations mère/enfant constituent le fondement de la vie psychoaffective et intellectuelle de l’enfant. La prise en charge à ce moment constitue à la fois du soin et de la prévention.
La consultation avec psychologue et pédiatre permet aussi des réponses aux questions médicales qui peuvent se poser et de favoriser une orientation vers d’autres professionnels de santé. Cette démarche est d’autant plus importante qu’elle s’adresse à des personnes vulnérables, peu suivies et en difficulté pour accéder aux soins.
Besoins de l’ADA
L’ADA souhaite mieux former ses bénévoles et salariés aux effets psychologiques des traumatismes. Une telle formation est encore très peu présente à l’ADA et nous pensons qu’il est nécessaire de la développer. Pour ce faire, les actions suivantes sont envisagées et non pu être mises en œuvre pour cause de crise sanitaire et de manque de financement :
- Une ou des formations dans le cadre des « Mardis de la formation », organisés régulièrement à l’ADA pour ses bénévoles et ouverts aux membres d’autres associations. Ces formations pourraient être dispensées par les psychologues qui interviennent à l’ADA.
- L’intervention d’un professionnel extérieur à l’ADA : par exemple un psychiatre de la PASS – Permanence d’Accès aux Soins de Santé du CHU de Grenoble, structure s’adressant aux personnes en situation de précarité.
Conclusion
Au regard de la régularité et de l’investissement de ces entretiens, on peut avancer que ces derniers correspondent bien à une demande des demandeurs d’asile : ne plus être envahis par leurs symptômes et faire tomber en partie les systèmes de défense mis en place comme protection du psychisme, mais qui dans le même temps risquent de perturber leur récit et d’entraîner le rejet de leur demande d’asile.